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LE ROUGE ET LE NOIR VI
prose [ ]
IX - X

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by [Stendhal ]

2010-05-09  | [This text should be read in francais]    |  Submited by Cezar C. Viziniuck



IX

Une soirée à la Campagne.


La Didon de M. Guérin, esquisse charmante!

STROMBECK.

Ses regards le lendemain, quand il revit madame de RĂȘnal Ă©taient singuliers; il l'observait comme un ennemi avec lequel il va falloir se battre. Ces regards si diffĂ©rents de ceux de la veille, firent perdre la tĂȘte Ă  madame de RĂȘnal: elle avait Ă©tĂ© bonne pour lui, et il paraissait fĂąchĂ©. Elle ne pouvait dĂ©tacher ses regards des siens.

La prĂ©sence de madame derville permettait Ă  Julien de moins parler et de s'occuper davantage de ce qu'il avait dans la tĂȘte. Son unique affaire, toute cette journĂ©e, fut de se fortifier par la lecture du livre inspirĂ© qui retrempait son Ăąme.

Il abrĂ©gea beaucoup les leçons des enfants, et ensuite, quand la prĂ©sence de madame de RĂȘnal vint le rappeler tout Ă  fait aux soins de sa gloire, il dĂ©cida qu'il fallait absolument qu'elle permĂźt ce soir-lĂ  que sa main restĂąt dans la sienne.

Le soleil en baissant, et rapprochant le moment dĂ©cisif fit battre le coeur de Julien d'une façon singuliĂšre. La nuit vint. Il observa avec une joie qui lui ĂŽta un poids immense de dessus la poitrine, qu'elle serait fort obscure. Le ciel chargĂ© de gros nuages, promenĂ©s par un vent trĂšs chaud, semblait annoncer une tempĂȘte. Les deux amies se promenĂšrent fort tard. Tout ce qu'elles faisaient ce soir-lĂ  semblait singulier Ă  Julien. Elles jouissaient de ce temps, qui, pour certaines Ăąmes dĂ©licates, semble augmenter le plaisir d'aimer.

On s'assit enfin, madame de RĂȘnal Ă  cĂŽtĂ© de Julien, et madame derville prĂšs de son amie. PrĂ©occupĂ© de ce qu'il allait tenter, Julien ne trouvait rien Ă  dire. La conversation languissait.

Serai-je aussi tremblant et malheureux au premier duel qui me viendra? se dit Julien, car il avait trop de méfiance et de lui et des autres, pour ne pas voir l'état de son ùme.

Dans sa mortelle angoisse, tous les dangers lui eussent semblĂ© prĂ©fĂ©rables. Que de fois ne dĂ©sira-t-il pas voir survenir Ă  madame de RĂȘnal quelque affaire qui l'obligeĂąt de rentrer Ă  la maison et de quitter le jardin! La violence que Julien Ă©tait obligĂ© de se faire Ă©tait trop forte pour que sa voix ne fĂ»t pas profondĂ©ment altĂ©rĂ©e, bientĂŽt la voix de madame de RĂȘnal devint tremblante aussi, mais Julien ne s'en aperçut point. L'affreux combat que le devoir livrait Ă  la timiditĂ© Ă©tait trop pĂ©nible, pour qu'il fĂ»t en Ă©tat de rien observer hors lui-mĂȘme. Neuf heures trois quarts venaient de sonner Ă  l'horloge du chĂąteau sans qu'il eĂ»t encore rien osĂ©. Julien, indignĂ© de sa lĂąchetĂ©, se dit: Au moment prĂ©cis oĂč dix heures sonneront, j'exĂ©cuterai ce que, pendant toute la journĂ©e je me suis promis de faire ce soir, ou je monterai chez moi me brĂ»ler la cervelle.

AprĂšs un dernier moment d'attente et d'anxiĂ©tĂ©, pendant lequel l'excĂšs de l'Ă©motion mettait Julien comme hors de lui dix heures sonnĂšrent Ă  l'horloge qui Ă©tait au-dessus dĂ© sa tĂȘte. Chaque coup de cette cloche fatale retentissait dans sa poitrine, et y causait comme un mouvement physique.

Enfin, comme le dernier coup de dix heures retentissait encore, il Ă©tendit la main, et prit celle de madame de RĂȘnal, qui la retira aussitĂŽt. Julien, sans trop savoir ce qu'il faisait, la saisit de nouveau. Quoique bien Ă©mu lui-mĂȘme, il fut frappĂ© de la froideur glaciale de la main qu'il prenait, il la serrait avec une force convulsive, on fit un dernier effort pour la lui ĂŽter, mais enfin cette main lui resta.

Son Ăąme fut inondĂ©e de bonheur, non qu'il aimĂąt madame de RĂȘnal, mais un affreux supplice venait de cesser. Pour que madame derville ne s'aperçût de rien, il se crut obligĂ© de parler, sa voix alors Ă©tait Ă©clatante et forte. Celle de madame de RĂȘnal, au contraire, trahissait tant d'Ă©motion, que son amie la crut malade et lui proposa de rentrer. Julien sentit le danger: Si madame de RĂȘnal rentre au salon, je vais retomber dans la position affreuse oĂč j'ai passĂ© la journĂ©e. J'ai tenu cette main trop peu de temps pour que cela compte comme un avantage qui m'est acquis.

Au moment oĂč madame derville renouvelait la proposition de rentrer au salon, Julien serra fortement la main qu'on lui abandonnait.

Madame de RĂȘnal, qui se levait dĂ©jĂ , se rassit en disant, d'une voix mourante:

-- Je me sens, à la vérité, un peu malade, mais le grand air me fait du bien.

Ces mots confirmĂšrent le bonheur de Julien, qui, dans ce moment, Ă©tait extrĂȘme: il parla, il oublia de feindre, il parut l'homme le plus aimable aux deux amies qui l'Ă©coutaient. Cependant il y avait encore un peu de manque de courage dans cette Ă©loquence qui lui arrivait tout Ă  coup. Il craignait mortellement que madame derville fatiguĂ©e du vent qui commençait Ă  s'Ă©lever et qui prĂ©cĂ©dait la tempĂȘte, ne voulĂ»t rentrer seule au salon. Alors il serait restĂ© en tĂȘte-Ă -tĂȘte avec madame de RĂȘnal. Il avait eu presque par hasard le courage aveugle qui suffit pour agir; mais il sentait qu'il Ă©tait hors de sa puissance de dire le mot le plus simple Ă  madame de RĂȘnal. Quelque lĂ©gers que fussent ses reproches, il allait ĂȘtre battu, et l'avantage qu'il venait d'obtenir anĂ©anti.

Heureusement pour lui, ce soir-lĂ , ses discours touchants et emphatiques trouvĂšrent grĂące devant madame derville, qui trĂšs souvent le trouvait gauche comme un enfant, et peu amusant. Pour madame de RĂȘnal la main dans celle de Julien, elle ne pensait Ă  rien; elle se laissait vivre. Les heures qu'on passa sous ce grand tilleul que la tradition du pays dit plantĂ© par Chartes le TĂ©mĂ©raire, furent pour elle une Ă©poque de bonheur. Elle Ă©coutait avec dĂ©lices les gĂ©missements du vent dans l'Ă©pais feuillage du tilleul, et le bruit de quelques gouttes rares qui commençaient Ă  tomber sur ses feuilles les plus basses. Julien ne remarqua pas une circonstance qui l'eĂ»t bien rassurĂ©; madame de RĂȘnal, qui avait Ă©tĂ© obligĂ©e de lui ĂŽter sa main, parce qu'elle se leva pour aider sa cousine Ă  relever un vase de fleurs que le vent venait de renverser Ă  leurs pieds, fut Ă  peine assise de nouveau, qu'elle lui rendit sa main presque sans difficultĂ©, et comme si dĂ©jĂ  c'eĂ»t Ă©tĂ© entre eux une chose convenue.

Minuit Ă©tait sonnĂ© depuis longtemps; il fallut enfin quitter le jardin: on se sĂ©para. Madame de RĂȘnal, transportĂ©e du bonheur d'aimer, Ă©tait tellement ignorante, qu'elle ne se faisait aucun reproche. Le bonheur lui ĂŽtait le sommeil. Un sommeil de plomb s'empara de Julien mortellement fatiguĂ© des combats que, toute la journĂ©e, la timiditĂ© et l'orgueil s'Ă©taient livrĂ©s dans son coeur.

Le lendemain on le rĂ©veilla Ă  cinq heures; et, ce qui eĂ»t Ă©tĂ© cruel pour madame de RĂȘnal, si elle l'eĂ»t su, Ă  peine lui donna-t-il une pensĂ©e. Il avait fait son devoir, et un devoir hĂ©roĂŻque. Rempli de bonheur par ce sentiment, il s'enferma Ă  clef dans sa chambre, et se livra avec un plaisir tout nouveau Ă  la lecture des exploits de son hĂ©ros.

Quand la cloche du déjeuner se fit entendre, il avait oublié, en lisant les bulletins de la grande armée, tous ses avantages de la veille. Il se dit, d'un ton léger, en descendant au salon: Il faut dire à cette femme que je l'aime.

Au lieu de ces regards chargĂ©s de voluptĂ©, qu'il s'attendait Ă  rencontrer, il trouva la figure sĂ©vĂšre de M. de RĂȘnal, qui, arrivĂ© depuis deux heures de VerriĂšres, ne cachait point son mĂ©contentement de ce que Julien passait toute la matinĂ©e sans s'occuper des enfants. Rien n'Ă©tait laid comme cet homme important, ayant de l'humeur et croyant pouvoir la montrer.

Chaque mot aigre de son mari perçait le coeur de madame de RĂȘnal. Quant Ă  Julien, il Ă©tait tellement plongĂ© dans l'extase, encore si occupĂ© des grandes choses qui, pendant plusieurs heures, venaient de passer devant ses yeux, qu'Ă  peine d'abord put-il rabaisser son attention jusqu'Ă  Ă©couter les propos durs que lui adressait M. de RĂȘnal. Il lui dit enfin, assez brusquement:

-- J'étais malade.

Le ton de cette réponse eût piqué un homme beaucoup moins susceptible que le maire de VerriÚres, il eut quelque idée de répondre à Julien en le chassant à l'instant. Il ne fut retenu que par la maxime qu'il s'était faite de ne jamais trop se hùter en affaires.

Ce jeune sot, se dit-il bientÎt, s'est fait une sorte de réputation dans ma maison, le Valenod peut le prendre chez lui, ou bien il épousera Elisa, et dans les deux cas au fond du coeur, il pourra se moquer de moi.

MalgrĂ© la sagesse de ses rĂ©flexions le mĂ©contentement de M. de RĂȘnal n'en Ă©clata pas moins par une suite de mots grossiers qui, peu Ă  peu, irritĂšrent Julien. Madame de RĂȘnal Ă©tait sur le point de fondre en larmes. A peine le dĂ©jeuner fut-il fini, qu'elle demanda Ă  Julien de lui donner le bras pour la promenade; elle s'appuyait sur lui avec amitiĂ©. A tout ce que madame de RĂȘnal lui disait, Julien ne pouvait que rĂ©pondre Ă  demi-voix:

-- VoilĂ  bien les gens riches!

M. de RĂȘnal marchait tout prĂšs d'eux; sa prĂ©sence augmentait la colĂšre de Julien. Il s'aperçut tout Ă  coup que madame de RĂȘnal s'appuyait sur son bras d'une façon marquĂ©e; ce mouvement lui fit horreur, il la repoussa avec violence et dĂ©gagea son bras.

Heureusement M. de RĂȘnal ne vit point cette nouvelle impertinence, elle ne fut remarquĂ©e que de madame derville, son amie fondait en larmes. En ce moment M. de RĂȘnal se mit Ă  poursuivre Ă  coups de pierres une petite paysanne qui avait pris un sentier abusif, et traversait un coin du verger. -- Monsieur Julien, de grĂące modĂ©rez-vous; songez que nous avons tous des moments d'humeur, dit rapidement madame derville.

Julien la regarda froidement avec des yeux oĂč se peignait le plus souverain mĂ©pris.

Ce regard étonna madame derville, et l'eût surprise bien davantage si elle en eût deviné la véritable expression; elle y eût lu comme un espoir vague de la plus atroce vengeance. Ce sont sans doute de tels moments d'humiliation qui ont fait les Robespierre.

-- Votre Julien est bien violent, il m'effraye, dit tout bas madame derville Ă  son amie.

-- Il a raison d'ĂȘtre en colĂšre, lui rĂ©pondit celle-ci. AprĂšs les progrĂšs Ă©tonnants qu'il a fait faire aux enfants qu'importe qu'il passe une matinĂ©e sans leur parler; il faut convenir que les hommes sont bien durs.

Pour la premiĂšre fois de sa vie madame de RĂȘnal sentit une sorte de dĂ©sir de vengeance contre son mari. La haine extrĂȘme qui animait Julien contre les riches allait Ă©clater. Heureusement M. de RĂȘnal appela son jardinier, et resta occupĂ© avec lui Ă  barrer avec des fagots d'Ă©pines le sentier abusif Ă  travers le verger. Julien ne rĂ©pondit pas un seul mot aux prĂ©venances, dont pendant tout le reste de la promenade il fut l'objet. A peine M. de RĂȘnal s'Ă©tait-il Ă©loignĂ©, que les deux amies, se prĂ©tendant fatiguĂ©es, lui avaient demandĂ© chacune un bras.

Entre ces deux femmes dont un trouble extrĂȘme couvrait les joues de rougeur et d'embarras, la pĂąleur hautaine, l'air sombre et dĂ©cidĂ© de Julien formait un Ă©trange contraste. Il mĂ©prisait ces femmes et tous les sentiments tendres.

Quoi, se disait-il, pas mĂȘme cinq cents francs de rente pour terminer mes Ă©tudes. Ah! comme je l'enverrais promener!

Absorbé par ces idées sévÚres, le peu qu'il daignait comprendre des mots obligeants des deux amies lui déplaisait comme vide de sens, niais, faible, en un mot féminin.

A force de parler pour parler, et de chercher Ă  maintenir la conversation vivante, il arriva Ă  madame de RĂȘnal de dire que son mari Ă©tait venu de VerriĂšres parce qu'il avait fait marchĂ©, pour de la paille de maĂŻs, avec un de ses fermiers. (Dans ce pays, c'est avec de la paille de maĂŻs que l'on remplit les paillasses des lits.)

-- Mon mari ne nous rejoindra pas, ajouta madame de RĂȘnal; avec le jardinier et son valet de chambre, il va s'occuper d'achever le renouvellement des paillasses de la maison. Ce matin il a mis de la paille de mais dans tous les lits du premier Ă©tage, maintenant il est au second.

Julien changea de couleur, il regarda madame de RĂȘnal d'un air singulier, et bientĂŽt la prit Ă  part en quelque sorte en doublant le pas. Madame derville les laissa s'Ă©loigner.

-- Sauvez-moi la vie, dit Julien Ă  madame de RĂȘnal, vous seule le pouvez; car vous savez que le valet de chambre me hait Ă  la mort. Je dois vous avouer, madame, que j'ai un portrait je l'ai cachĂ© dans la paillasse de mon lit.

A ce mot, madame de RĂȘnal devint pĂąle Ă  son tour.

-- Vous seule, madame, pouvez dans ce moment entrer dans ma chambre; fouillez, sans qu'il y paraisse, dans l'angle de la paillasse qui est le plus rapprochĂ© de la fenĂȘtre, vous y trouverez une petite boĂźte de carton noir et lisse.

-- Elle renferme un portrait! dit madame de RĂȘnal, pouvant Ă  peine se tenir debout.

Son air de découragement fut aperçu de Julien, qui aussitÎt en profita.

-- J'ai une seconde grĂące Ă  vous demander, madame: je vous supplie de ne pas regarder ce portrait, c'est mon secret.

-- C'est un secret! rĂ©pĂ©ta madame de RĂȘnal, d'une voix Ă©teinte.

Mais, quoique Ă©levĂ©e parmi les gens fiers de leur fortune et sensibles au seul intĂ©rĂȘt d'argent, l'amour avait dĂ©jĂ  mis de la gĂ©nĂ©rositĂ© dans cette Ăąme. Cruellement blessĂ©e, ce fut avec l'air du dĂ©vouement le plus simple que madame de RĂȘnal fit Ă  Julien les questions nĂ©cessaires pour pouvoir bien s'acquitter de sa commission.

-- Ainsi, lui dit-elle en s'éloignant, une petite boßte ronde, de carton noir, bien lisse.

-- Oui, madame, répondit Julien, de cet air dur que le danger donne aux hommes.

Elle monta au second étage du chùteau pùle comme si elle fût allée à la mort. Pour comble de misÚre, elle sentit qu'elle était sur le point de se trouver mal; mais la nécessité de rendre service à Julien lui rendit des forces.

-- Il faut que j'aie cette boĂźte, se dit-elle en doublant le pas.

Elle entendit son mari parler au valet de chambre dans la chambre mĂȘme de Julien. Heureusement ils passĂšrent dans celle des enfants. Elle souleva le matelas et plongea la main dans la paillasse avec une telle violence qu'elle s'Ă©corcha les doigts. Mais quoique fort sensible aux petites douleurs de ce genre, elle n'eut pas la conscience de celle-ci, car presque en mĂȘme temps elle sentit le poli de la boĂźte de carton. Elle la saisit et disparut.

A peine fut-elle dĂ©livrĂ©e de la crainte d'ĂȘtre surprise par son mari, que l'horreur que lui causait cette boĂźte fut sur le point de la faire dĂ©cidĂ©ment se trouver mal.

Julien est donc amoureux, et je tiens lĂ  le portrait de la femme qu'il aime!

Assise sur une chaise dans l'antichambre de cet appartement, madame de RĂȘnal Ă©tait en proie Ă  toutes les horreurs de la jalousie. Son extrĂȘme ignorance lui fut encore utile en ce moment, l'Ă©tonnement tempĂ©rait la douleur. Julien parut, saisit la boĂźte, sans remercier, sans rien dire et courut dans sa chambre oĂč il fit du feu et la brĂ»la Ă  l'instant. Il Ă©tait pĂąle, anĂ©anti, il s'exagĂ©rait l'Ă©tendue du danger qu'il venait de courir.

Le portrait de NapolĂ©on, se disait-il en hochant la tĂȘte, trouvĂ© cachĂ© chez un homme qui fait profession d'une telle haine pour l'usurpateur! trouvĂ© par M. de RĂȘnal, tellement ultra et tellement irritĂ©! et pour comble d'imprudence, sur le carton blanc derriĂšre le portrait des lignes Ă©crites de ma main! et qui ne peuvent laisser aucun doute sur l'excĂšs de mon admiration! et chacun de ces transports d'amour est datĂ©! Il y en a d'avant-hier.

Toute ma réputation tombée, anéantie en un moment! se disait Julien, en voyant brûler la boßte et ma réputation est tout mon bien, je ne vis que par elle... et encore, quelle vie, grand Dieu!

Une heure aprĂšs, la fatigue et la pitiĂ© qu'il sentait pour lui-mĂȘme le disposaient Ă  l'attendrissement. Il rencontra madame de RĂȘnal et prit sa main qu'il baisa avec plus de sincĂ©ritĂ© qu'il n'avait jamais fait. Elle rougit de bonheur, et presque au mĂȘme instant repoussa Julien avec la colĂšre de la jalousie. La fiertĂ© de Julien si rĂ©cemment blessĂ©e en fit un sot dans ce moment. Il ne vit en madame de RĂȘnal qu'une femme riche, il laissa tomber sa main avec dĂ©dain et s'Ă©loigna. Il alla se promener pensif dans le jardin; bientĂŽt un sourire amer parut sur ses lĂšvres.

Je me promĂšne lĂ , tranquille comme un homme maĂźtre de son temps! Je ne m'occupe pas des enfants! je m'expose aux mots humiliants de M. de RĂȘnal, et il aura raison. Il courut Ă  la chambre des enfants.

Les caresses du plus jeune qu'il aimait beaucoup calmĂšrent un peu sa cuisante douleur.

Celui-là ne me méprise pas encore, pensa Julien. Mais bientÎt il se reprocha cette diminution de douleur comme une nouvelle faiblesse. Ces enfants me caressent comme ils caresseraient le jeune chien de chasse que l'on a acheté hier.




X

Un grand Coeur et une petite Fortune.


But passion most dissembles, yet betrays,
Even by its darkness; as the blackest sky
Foretels the heaviest tempest.

Don Juan, C. I, st. 75.

M. de RĂȘnal qui suivait toutes les chambres du chĂąteau, revint dans celle des enfants avec les domestiques qui rapportaient les paillasses. L'entrĂ©e soudaine de cet homme fut pour Julien la goutte d'eau qui fait dĂ©border le vase.

Plus pĂąle, plus sombre qu'Ă  l'ordinaire, il s'Ă©lança vers lui. M. de RĂȘnal s'arrĂȘta et regarda ses domestiques.

-- Monsieur lui dit Julien, croyez-vous qu'avec tout autre prĂ©cepteur, vos enfants eussent fait les mĂȘmes progrĂšs qu'avec moi? Si vous rĂ©pondez que non, continua Julien, sans laisser Ă  M. de RĂȘnal le temps de parler, comment osez-vous m'adresser le reproche que je les nĂ©glige?

M. de RĂȘnal, Ă  peine remis de sa peur, conclut du ton Ă©trange qu'il voyait prendre Ă  ce petit paysan, qu'il avait en poche quelque proposition avantageuse, et qu'il allait le quitter. La colĂšre de Julien s'augmentant Ă  mesure qu'il parlait:

-- Je puis vivre sans vous, monsieur, ajouta-t-il.

-- Je suis vraiment fĂąchĂ© de vous voir si agitĂ©, rĂ©pondit M. de RĂȘnal, en balbutiant un peu. Les domestiques Ă©taient Ă  dix pas occupĂ©s Ă  arranger les lits.

-- Ce n'est pas ce qu'il me faut, monsieur, reprit Julien hors de lui, songez à l'infamie des paroles que vous m'avez adressées, et devant des femmes encore!

M. de RĂȘnal ne comprenait que trop ce que demandait Julien, et un pĂ©nible combat dĂ©chirait son Ăąme. Il arriva que Julien, effectivement fou de colĂšre, s'Ă©cria:

-- Je sais oĂč aller, monsieur, en sortant de chez vous.

A ce mot, M. de RĂȘnal vit Julien installĂ© chez M. Valenod.

-- Eh bien! monsieur, lui dit-il enfin avec un soupir et de l'air dont il eût appelé le chirurgien pour l'opération la plus douloureuse, j accÚde à votre demande. A compter d'aprÚs-demain, qui est le premier du mois, je vous donne cinquante francs par mois.

Julien eut envie de rire et resta stupéfait: toute sa colÚre avait disparu.

Je ne méprisais pas assez l'animal! se dit-il. Voilà sans doute la plus grande excuse que puisse faire une ùme aussi basse.

Les enfants qui écoutaient cette scÚne bouche béante coururent au jardin, dire à leur mÚre que M. Julien était bien en colÚre, mais qu'il allait avoir cinquante francs par mois.

Julien les suivit par habitude sans mĂȘme regarder M. de RĂȘnal, qu'il laissa profondĂ©ment irritĂ©.

Voilà cent soixante-huit francs, se disait le maire, que me coûte M. Valenod. Il faut absolument que je lui dise deux mots fermes sur son entreprise des fournitures pour les enfants trouvés.

Un instant aprĂšs, Julien se retrouva vis-Ă -vis M. de RĂȘnal:

-- J'ai à parler de ma conscience à M. Chélan, j'ai l'honneur de vous prévenir que je serai absent quelques heures.

-- Eh, mon cher Julien! dit M. de RĂȘnal, en riant de l'air le plus faux, toute la journĂ©e si vous voulez, toute celle de demain, mon bon ami. Prenez le cheval du jardinier pour aller Ă  VerriĂšres.

Le voilĂ , se dit M. de RĂȘnal qui va rendre rĂ©ponse Ă  Valenod; il ne m'a rien promis, mais il faut laisser se refroidir cette tĂȘte de jeune homme.

Julien s'échappa rapidement et monta dans les grands bois par lesquels on peut aller de Vergy à VerriÚres. Il ne voulait point arriver sitÎt chez M. Chélan. Loin de désirer s'astreindre à une nouvelle scÚne d'hypocrisie, il avait besoin d'y voir clair dans son ùme, et de donner audience à la foule de sentiments qui l'agitaient.

J'ai gagné une bataille, se dit-il aussitÎt qu'il se vit dans les bois et loin du regard des hommes, j'ai donc gagné une bataille!

Ce mot lui peignait en beau toute sa position et rendit à son ùme quelque tranquillité.

Me voilĂ  avec cinquante francs d'appointements par mois, il faut que M. de RĂȘnal ait eu une belle peur. Mais de quoi?

Cette mĂ©ditation sur ce qui avait pu faire peur Ă  l'homme heureux et puissant contre lequel une heure auparavant il Ă©tait bouillant de colĂšre, acheva de rassĂ©rĂ©ner l'Ăąme de Julien. Il fut presque sensible un moment Ă  la beautĂ© ravissante des bois au milieu desquels il marchait. D'Ă©normes quartiers de roches nues Ă©taient tombĂ©s jadis au milieu de la forĂȘt du cĂŽtĂ© de la montagne. De grands hĂȘtres s'Ă©levaient presque aussi haut que ces rochers dont l'ombre donnait une fraĂźcheur dĂ©licieuse Ă  trois pas des endroits oĂč la chaleur des rayons du soleil eĂ»t rendu impossible de s'arrĂȘter.

Julien prenait haleine un instant Ă  l'ombre de ces grandes roches, et puis se remettait Ă  monter. BientĂŽt par un Ă©troit sentier Ă  peine marquĂ© et qui sert seulement aux gardiens des chĂšvres, il se trouva debout sur un roc immense et bien sĂ»r d'ĂȘtre sĂ©parĂ© de tous les hommes. Cette position physique le fit sourire, elle lui peignait la position qu'il brĂ»lait d'atteindre au moral. L'air pur de ces montagnes Ă©levĂ©es communiqua la sĂ©rĂ©nitĂ© et mĂȘme la joie Ă  son Ăąme. Le maire de VerriĂšres Ă©tait bien toujours, Ă  ses yeux, le reprĂ©sentant de tous les riches et de tous les insolents de la terre; mais Julien sentait que la haine qui venait de l'agiter, malgrĂ© la violence de ses mouvements, n'avait rien de personnel. S'il eĂ»t cessĂ© de voir M. de RĂȘnal, en huit jours il l'eĂ»t oubliĂ©, lui, son chĂąteau, ses chiens, ses enfants et toute sa famille. Je l'ai forcĂ© je ne sais comment, Ă  faire le plus grand sacrifice. Quoi i plus de cinquante Ă©cus par an! un instant auparavant je m'Ă©tais tirĂ© du plus grand danger. VoilĂ  deux victoires en un jour; la seconde est sans mĂ©rite, il faudrait en deviner le comment. Mais Ă  demain les pĂ©nibles recherches.

Julien, debout sur son grand rocher regardait le ciel embrasĂ© par un soleil d'aoĂ»t. Les cigales chantaient dans le champ au-dessous du rocher; quand elles se taisaient tout Ă©tait silence autour de lui. Il voyait Ă  ses pieds vingt lieues de pays. Quelque Ă©pervier parti des grandes roches au-dessus de sa tĂȘte Ă©tait aperçu par lui, de temps Ă  autre, dĂ©crivant en silence ses cercles immenses. L'oeil de Julien suivait machinalement l'oiseau de proie. Ses mouvements tranquilles et puissants le frappaient, il enviait cette force, il enviait cet isolement.

C'était la destinée de Napoléon, serait-ce un jour la sienne?

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